Micromégas

http://www.gutenberg.org/files/30123/30123-h/30123-h.htm, Translator: Peter Phalen


CHAPTER I: Voyage of an inhabitant of the Sirius star to the planet Saturn
Chapitre premier Voyage d'un habitant du monde de l'étoile Sirius dans la planète de Saturne
1.1 | 1.2 | 1.3 | 1.4 | 1.5
CHAPTER II: Conversation between the inhabitant of Sirius and that of Saturn
Chapitre second Conversation de l'habitant de Sirius avec celui de Saturne
2.1 | 2.2 | 2.3
CHAPTER III: Voyage of the two inhabitants of Sirius and Saturn
Chapitre troisième Voyage des deux habitants de Sirius et de Saturne
3.1 | 3.2 | 3.3
CHAPTER IV: What happened on planet Earth
Chapitre quatrième Ce qui leur arrive sur le globe de la terre
4.1 | 4.2 | 4.3
CHAPTER V: Experiments and reasonings of the two voyagers
Chapitre cinquième Expériences et raisonnements des deux voyageurs
5.1 | 5.2 | 5.3
CHAPTER VI: What happened to them among men
Chapitre sixième Ce qui leur arriva avec les hommes
6.1 | 6.2 | 6.3 | 6.4 | 6.5 | 6.6
CHAPTER VII: Conversation with the men
Chapitre septième Conversation avec les hommes
7.1 | 7.2 | 7.3 | 7.4 | 7.5 | 7.6 | 7.7 | 7.8 | 7.9





36,3 MB
36 MB

Chapitre septième

Conversation avec les hommes

7.1
« O atomes intelligents, dans qui l’Etre éternel s’est plu à manifester son adresse et sa puissance, vous devez sans doute goûter des joies bien pures sur votre globe : car, ayant si peu de matière, et paraissant tout esprit, vous devez passer votre vie à aimer et à penser ; c'est la véritable vie des esprits. Je n'ai vu nulle part le vrai bonheur ; mais il est ici, sans doute. » A ce discours, tous les philosophes secouèrent la tête ; et l'un d'eux, plus franc que les autres, avoua de bonne foi que, si l'on en excepte un petit nombre d'habitants fort peu considérés, tout le reste est un assemblage de fous, de méchants et de malheureux.

CHAPTER VII

Conversation with the men

7.1
"Oh intelligent atoms, in which the Eternal Being desired to make manifest his skill and his power, you must, no doubt, taste pure joys on your planet; for having so little matter, and appearing to be entirely spirit, you must live out your life thinking and loving, the veritable life of the mind. Nowhere have I seen true bliss, but it is here, without a doubt."

At this all the philosophers shook their heads, and one of them, more frank than the others, avowed that if one excepts a small number of inhabitants held in poor regard, all the rest are an assembly of mad, vicious, and wretched people.


7.2
« Nous avons plus de matière qu'il ne nous en faut, dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière , et trop d'esprit, si le mal vient de l'esprit. Savez-vous bien, par exemple, qu'à l'heure où je vous parle, il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d'un turban, ou qui sont massacrés par eux, et que, presque sur toute la terre, c'est ainsi qu' on en use de temps immémorial. Le Sirien frémit, et demanda quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs animaux. « Il s'agit, dit le philosophe, de quelque tas de boue grand comme votre talon. Ce n'est pas qu'aucun de ces millions d'hommes qui font égorger prétende un fétu sur ce tas de boue. Il ne s'agit que de savoir s'il appartiendra à un certain homme qu'on nomme Sultan, ou à un autre qu'on nomme, je ne sais pourquoi, César. Ni l'un ni l'autre n'a jamais vu ni ne verra jamais le petit coin de terre dont il s'agit ; et presque aucun de ces animaux, qui s'égorgent mutuellement, n'a jamais vu l'animal pour lequel ils s’égorgent.
7.2.

"We have more substance than is necessary," he said, "to do evil, if evil comes from substance; and too much spirit, if evil comes from spirit. Did you know, for example, that as I am speaking with you, there are 100,000 madmen of our species wearing hats, killing 100,000 other animals wearing turbans, or being massacred by them, and that we have used almost surface of the Earth for this purpose since time immemorial?" The Sirian shuddered, and asked the reason for these horrible quarrels between such puny animals.

"It is a matter," said the philosopher, "of some piles of mud as big as your heel. It is not that any of these millions of men that slit each other's throats care about this pile of mud. It is only a matter of determining if it should belong to a certain man who we call 'Sultan,' or to another who we call, for whatever reason, 'Czar.' Neither one has ever seen nor will ever see the little piece of Earth, and almost none of these animals that mutually kill themselves have ever seen the animal for which they kill."


7.3
Ah ! malheureux ! s'écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès de rage forcenée ! Il me prend envie de faire trois pas, et d'écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d'assassins ridicules. Ne vous en donnez pas la peine, lui répondit-on ; ils travaillent assez à leur ruine. Sachez qu'au bout de dix ans, il ne reste jamais la centième partie de ces misérables ; sachez que, quand même ils n’auraient pas tiré l'épée, la faim, la fatigue ou l’intempérance les emportent presque tous. D'ailleurs, ce n'est pas eux qu'il faut punir, ce sont ces barbares sédentaires qui du fond de leur cabinet ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d'un million d'hommes, et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement.»
7.3

"Oh! Cruel fate!" cried the Sirian with indignation, "who could conceive of this excess of maniacal rage! It makes me want to take three steps and crush this whole anthill of ridiculous assassins." "Do not waste your time," someone responded, "they are working towards ruin quickly enough. Know that after ten years only one hundredth of these scoundrels will be here. Know that even if they have not drawn swords, hunger, fatigue, or intemperance will overtake them. Furthermore, it is not they that should be punished, it is those sedentary barbarians who from the depths of their offices order, while they are digesting their last meal, the massacre of a million men, and who subsequently give solemn thanks to God."


7.4
Le voyageur se sentait ému de pitié pour la petite race humaine, dans laquelle il découvrait de si étonnants contrastes. « Puisque vous êtes du petit nombre des sages, dit-il à ces messieurs, et qu'apparemment vous ne tuez personne pour de l'argent, dites-moi, je vous en prie, à quoi vous vous occupez. Nous disséquons des mouches, dit le philosophe, nous mesurons des lignes, nous assemblons des nombres ; nous sommes d'accord sur deux ou trois points que nous entendons et nous disputons sur deux ou trois mille que nous n'entendons pas. Il prit aussitôt fantaisie au Sirien et au Saturnien d'interroger ces atomes pensants, pour savoir les choses dont ils convenaient. « Combien comptez-vous, dit-il de l’étoile de la Canicule à la grande étoile des Gémeaux ? » Ils répondirent tous à la fois : « trente-deux degrés et demi. Combien comptez-vous d'ici à la Lune ? Soixante demi-diamètres de la terre en nombre rond. Combien pèse votre air ? » Il croyait les attraper, mais tous lui dirent que l'air pèse environ neuf cents fois moins qu'un pareil volume de l'eau la plus légère, et dix-neuf cents fois moins que l'or de ducat. Le petit nain de Saturne, étonné de leurs réponses, fut tenté de prendre pour des sorciers ces mêmes gens auxquels il avait refusé une âme un quart d'heure auparavant.
7.4

The voyager was moved with pity for the small human race, where he was discovering such surprising contrasts. "Since you are amongst the small number of wise men," he told these sirs, "and since apparently you do not kill anyone for money, tell me, I beg of you, what occupies your time." "We dissect flies," said the philosopher, "we measure lines, we gather figures; we agree with each other on two or three points that we do not understand." It suddenly took the Sirian and the Saturnian's fancy to question these thinking atoms, to learn what it was they agreed on. "What do you measure," said the Saturnian, "from the Dog Star to the great star of the Gemini?" They responded all at once, "thirty-two and a half degrees." "What do you measure from here to the moon?"

"60 radii of the Earth even."
"How much does your air weigh?"
He thought he had caught them, but they all told him that air weighed around 900 times less than an identical volume of the purest water, and 19,000 times less than a gold ducat. The little dwarf from Saturn, surprised at their responses, was tempted to accuse of witchcraft the same people he had refused a soul fifteen minutes earlier.


7.5
Enfin Micromégas leur dit : « Puisque vous savez si bien ce qui est hors de vous, sans doute vous savez encore mieux ce qui est en dedans. Dites-moi ce que c'est que votre âme, et comment vous formez vos idées. » Les philosophes parlèrent tous à la fois comme auparavant ; mais ils furent tous de différents avis. Le plus vieux citait Aristote, l'autre prononçait le nom de Descartes ; celui-ci, de Malebranche ; cet autre, de Leibnitz ; cet autre, de Locke. Un vieux péripatéticien dit tout haut avec confiance : « L'âme est une entéléchie, et une raison par qui elle a la puissance d'être ce qu’elle est. C’est ce que déclare expressément Aristote, page 633 de l'édition du Louvre. Ἐντελεχεῖα ἐστι. « Je n'entends pas trop bien le grec, dit le géant. Ni moi non plus, dit la mite philosophique. Pourquoi donc, reprit le Sirien, citez-vous un certain Aristote en grec ? C’est, répliqua le savant, qu'il faut bien citer ce qu’on ne comprend point du tout dans la langue qu'on entend le moins.»
7.5.

Finally Micromegas said to them, "Since you know what is exterior to you so well, you must know what is interior even better. Tell me what your soul is, and how you form ideas." The philosophers spoke all at once as before, but they were of different views. The oldest cited Aristotle, another pronounced the name of Descartes; this one here, Malebranche; another Leibnitz; another Locke. An old peripatetic spoke up with confidence: "The soul is an entelechy, and a reason gives it the power to be what it is." This is what Aristotle expressly declares, page 633 of the Louvre edition. He cited the passage. This passage of Aristotle, On the Soul, book II, chapter II, is translated thusly by Casaubon: Anima quaedam perfectio et actus ac ratio est quod potentiam habet ut ejusmodi sit. B. "I do not understand Greek very well," said the giant. "Neither do I," said the philosophical mite. "Why then," the Sirian retorted, "are you citing some man named Aristotle in the Greek?" "Because," repsong the savant, "one should always cite what one does not understand at all in the language one understands the least."


7.6
Le cartésien prit ici parole, et dit : « L’âme est un esprit pur qui a reçu dans le ventre de sa mère toutes les idées métaphysiques, et qui, en sortant de là, est obligée d'aller à l'école, et d'apprendre tout de nouveau ce qu'elle a si bien su, et quelle ne saura plus. Ce n’était donc pas la peine, répondit l'animal de huit lieues, que ton âme fût si savante dans le ventre de ta mère, pour être si ignorante quand tu aurais de la barbe au menton. Mais qu'entends-tu par esprit ? Que me demandez-vous là ? dit le raisonneur ; je n’en ai point d'idée ; on dit que ce n'est pas de la matière. Mais sais-tu au moins ce que c'est que de la matière ? Très bien, répondit l'homme. Par exemple cette pierre est grise, et d'une telle forme, elle a ses trois dimensions, elle est pesante et divisible. Eh bien ! dit le Sirien, cette chose qui te paraît être divisible, pesante et grise, me dirais-tu bien ce que c'est ? Tu vois quelques attributs ; mais le fond de la chose, le connais-tu ? Non, dit l'autre. Tu ne sais donc point ce que c'est que la matière.»
7.6
The Cartesian took the floor and said: "The soul is a pure spirit that has received in the belly of its mother all metaphysical ideas, and which, leaving that place, is obliged to go to school, and to learn all over again what it already knew, and will not know again.""It is not worth the trouble," responded the animal with the height of eight leagues, "for your soul to be so knowledgeable in its mother's stomach, only to be so ignorant when you have hair on your chin. But what do you understand by the mind?" "You are asking me?" said the reasoner. "I have no idea. We say that it is not matter—" "But do you at least know what matter is?" "Certainly," repsong the man. "For example this stone is grey, has such and such a form, has three dimensions, is heavy and divisible." "Well!" said the Sirian, "this thing that appears to you to be divisible, heavy, and grey, will you tell me what it is? You see some attributes, but behind those, are you familiar with that? "No," said the other.

"—So you do not know what matter is."


7.7
Alors Monsieur Micromégas, adressant la parole à un autre sage qu'il tenait sur son pouce, lui demanda ce que c'était que son âme, et ce qu'elle faisait. « Rien du tout, répondit le philosophe malebranchiste ; c'est Dieu qui fait tout pour moi ; je vois tout en lui, je fais tout en lui ; c'est lui qui fait tout sans que je m’en mêle. – Autant vaudrait ne pas être, reprit le sage de Sirius. Et toi, mon ami, dit-il à un leibnitzien qui était là, qu'est-ce que ton âme ? – C’est, répondit le leibnitzien, une aiguille qui montre les heures pendant que mon corps carillonne, ou bien, si vous voulez, c'est elle qui carillonne pendant que mon corps montre l'heure ; ou bien mon âme est le miroir de l'univers, et mon corps est la bordure du miroir : cela est clair.»
7.7
So Micromegas, addressing another sage that he held on a thumb, asked what his soul was, and what it did.

"Nothing at all," said the Malebranchist philosopher. "God does everything for me. I see everything in him, I do everything in him; it is he who does everything that I get mixed up in." "It would be just as well not to exist," retorted the sage of Sirius. "And you, my friend," he said to a Leibnitzian who was there, "what is your soul?"

"It is," answered the Leibnitzian, "the hand of a clock that tells the time while my body rings out. Or, if you like, it is my soul that rings out while my body tells the time, or my soul is the mirror of the universe, and my body is the border of the mirror. All that is clear."


7.8
Un petit partisan de Locke était là tout auprès ; et quand on lui eut enfin adressé la parole : « Je ne sais pas, dit-il, comment je pense, mais je sais que je n’ai jamais pensé qu'à l'occasion de mes sens. Qu'il y ait des substances immatérielles et intelligentes, c'est de quoi je ne doute pas ; mais qu'il soit impossible à Dieu de communiquer la pensée à la matière, c'est de quoi je doute fort. Je révère la puissance éternelle ; il ne m’appartient pas de la borner : je n'affirme rien , je me contente de croire qu'il y a plus de choses possibles qu'on ne pense.»
7.8
A small partisan of Locke was nearby, and when he was finally given the floor: "I do not know," said he, "how I think, but I know that I have only ever thought through my senses. That there are immaterial and intelligent substances I do not doubt, but that it is impossible for God to communicate thought to matter I doubt very much. I revere the eternal power. It is not my place to limit it. I affirm nothing, and content myself with believing that many more things are possible than one would think."

7.9
L'animal de Sirius sourit : il ne trouva pas celui-là le moins sage ; et le nain de Saturne aurait embrassé le sectateur de Locke sans l'extrême disproportion. Mais il y avait là, par malheur, un petit animalcule en bonnet carré qui coupa la parole à tous les animalcules philosophes ; il dit qu'il savait tout le secret, que cela se trouvait dans la Somme de Saint Thomas ; il regarda de haut en bas les deux habitants célestes ; il leur soutint que leurs personnes, leurs mondes, leurs soleils, leurs étoiles, tout était fait uniquement pour l'homme. A ce discours, nos deux voyageurs se laissèrent aller l'un sur l'autre en étouffant de ce rire inextinguible qui, selon Homère. est le partage des dieux : leurs épaules et leurs ventres allaient et venaient, et dans ces convulsions le vaisseau, que le Sirien avait sur son ongle, tomba dans une poche de la culotte du Saturnien. Ces deux bonnes gens le cherchèrent longtemps ; enfin ils retrouvèrent l'équipage, et le rajustèrent fort proprement. Le Sirien reprit les petites mites ; il leur parla encore avec beaucoup de bonté, quoiqu'il fût un peu fâché dans le fond du coeur de voir que les infiniment petits eussent un orgueil presque infiniment grand. Il leur promit de leur faire un beau livre de philosophie, écrit fort menu pour leur usage, et que, dans ce livre, ils verraient le bout des choses. Effectivement, il leur donna ce volume avant son départ : on le porta à Paris à l'Académie des Sciences ; mais, quand le secrétaire l'eut ouvert, il ne vit rien qu'un livre tout blanc : « Ah ! dit-il, je m’en étais bien douté. »
7.9
The animal from Sirius smiled. He did not find this the least bit sage, while the dwarf from Saturn would have kissed the sectarian of Locke were it not for the extreme disproportion. But there was, unfortunately, a little animalcule in a square hat who interrupted all the other animalcule philosophers. He said that he knew the secret: that everything would be found in the Summa of Saint Thomas. He looked the two celestial inhabitants up and down. He argued that their people, their worlds, their suns, their stars, had all been made uniquely for mankind. At this speech, our two voyagers nearly fell over with that inextinguishable laughter which, according to Homer, is shared with the gods. Their shoulders and their stomachs heaved up and down, and in these convulsions the vessel that the Sirian had on his nail fell into one of the Saturnian's trouser pockets. These two good men searched for it a long time, found it finally, and tidied it up neatly. The Sirian resumed his discussion with the little mites. He spoke to them with great kindness, although in the depths of his heart he was a little angry that the infinitely small had an almost infinitely great pride. He promised to make them a beautiful philosophical book, written very small for their usage, and said that in this book they would see the point of everything. Indeed, he gave them this book before leaving. It was taken to the academy of science in Paris, but when the ancient secretary opened it, he saw nothing but blank pages. "Ah!" he said, "I suspected as much."








contact privacy statement imprint