http://www.gutenberg.org/files/30123/30123-h/30123-h.htm, Translator: Peter Phalen
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7.9
Chapitre sixième
Ce qui leur arriva avec les hommes
6.1
Micromégas, bien meilleur observateur que son nain, vit
clairement que les atomes se parlaient; et il le fit remarquer à son
compagnon, qui, honteux de s'être mépris sur l'article
de la génération , ne voulut point croire que de pareilles
espèces pussent se communiquer des idées. Il avait
le don des langues aussi bien que le Sirien; il n'entendait point
parler nos atomes, et il supposait qu'ils ne parlaient pas. D'ailleurs,
comment ces êtres imperceptibles auraient-ils les organes de
la voix, et qu'auraient-ils à dire? Pour parler, il faut penser,
ou à peu près; mais s'ils pensaient, ils auraient donc
l'équivalent d'une âme. Or, attribuer l'équivalent
d'une âme à cette espèce, cela lui paraissait
absurde. «Mais, dit le Sirien, vous avez cru tout à l'heure
qu'ils faisaient l'amour; est-ce que vous croyez qu'on puisse faire
l'amour sans penser et sans proférer quelque parole, ou du
moins sans se faire entendre? Supposez-vous d'ailleurs qu'il soit
plus difficile de produire un argument qu'un enfant? Pour moi, l'un
et l'autre me paraissent de grands mystères. — Je n'ose
plus ni croire ni nier, dit le nain; je n'ai plus d'opinion. Il faut
tâcher d'examiner ces insectes, nous raisonnerons après. — C'est
fort bien dit», reprit Micromégas; et aussitôt
il tira une paire de ciseaux dont il se coupa les ongles, et d'une
rognure de l'ongle de son pouce, il fit sur-le-champ une espèce
de grande trompette parlante , comme un vaste entonnoir, dont il
mit le tuyau dans son oreille. La circonférence de l'entonnoir
enveloppait le vaisseau et tout l'équipage. La voix la plus
faible entrait dans les fibres circulaires de l'ongle; de sorte que,
grâce à son industrie , le philosophe de là-haut
entendit parfaitement le bourdonnement de nos insectes de là-bas.
En peu d'heures il parvint à distinguer les paroles, et enfin à entendre
le français. Le nain en fit autant, quoique avec plus de difficulté.
L'étonnement des voyageurs redoublait à chaque instant.
Ils entendaient des mites parler d'assez bon sens: ce jeu de la nature
leur paraissait inexplicable. Vous croyez bien que le Sirien et son
nain brûlaient d'impatience de lier conversation avec les atomes;
il craignait que sa voix de tonnerre, et surtout celle de Micromégas,
n'assourdît les mites sans en être entendue. Il fallait
en diminuer la force. Ils se mirent dans la bouche des espèces
de petits cure-dents, dont le bout fort effilé venait donner
auprès du vaisseau. Le Sirien tenait le nain sur ses genoux,
et le vaisseau avec l'équipage sur un ongle. Il baissait la
tête et parlait bas. Enfin, moyennant toutes ces précautions
et bien d'autres encore, il commença ainsi son discours:
CHAPTER VI
What happened to them among men
6.1
Micromegas, a much better observer than his dwarf, clearly saw that the atoms were speaking to each other, and pointed this out to his companion, who, ashamed of being mistaken about them reproducing, did not want to believe that such a species could communicate. He had the gift of language as well as the Sirian. He could not hear the atoms talk, and he supposed that they did not speak. Moreover, how could these impossibly small beings have vocal organs, and what would they have to say? To speak, one must think, more or less; but if they think, they must therefore have the equivalent of a soul. But to attribute the equivalent of a soul to this species seemed absurd to him.
"But," said the Sirian, "you believed right away that they made love. Do you believe that one can make love without thinking and without uttering one word, or at least without making oneself heard? Do you suppose as well that it is more difficult to produce an argument than an infant? Both appear to be great mysteries to me."
"I do not dare believe or deny it," said the dwarf. "I have no more opinions. We must try to examine these insects and reason after."
"That is very well said," echoed Micromegas, and he briskly took out a pair of scissors with which he cut his fingernails, and from the parings of his thumbnail he improvised a kind of speaking-trumpet, like a vast funnel, and put the end up to his ear. The circumference of the funnel enveloped the vessel and the entire crew. The weakest voice entered into the circular fibers of the nails in such a way that, thanks to his industriousness, the philosopher above could hear the drone of our insects below perfectly. In a small number of hours he was able to distinguish words, and finally to understand French. The dwarf managed to do the same, though with more difficulty. The voyagers' surprise redoubled each second. They heard the mites speak fairly intelligently. This performance of nature's seemed inexplicable to them. You may well believe that the Sirian and the dwarf burned with impatience to converse with the atoms. The dwarf feared that his thunderous voice, and assuredly Micromegas, would deafen the mites without being understood. They had to diminish its force. They placed toothpicks in their mouths, whose tapered ends fell around the ship. The Sirian put the dwarf on his knees and the ship with its crew on a fingernail. He lowered his head and spoke softly. Finally, relying on these precautions and many others, he began his speech like so:
6.2
« Insectes invisibles,
que la main du Créateur s'est plu à faire naître
dans l'abîme de l'infiniment petit, je le remercie de ce qu'il
a daigné me découvrir des secrets qui semblaient impénétrables.
Peut-être ne daignerait-on pas vous regarder à ma cour;
mais je ne méprise personne, et je vous offre ma protection.»
6.2
"Invisible insects, that the hand of the Creator has caused to spring up in the abyss of the infinitely small, I thank him for allowing me to uncover these seemingly impenetrable secrets. Perhaps those at my court would not deign to give you audience, but I mistrust no one, and I offer you my protection."
6.3
Si jamais il y a eu quelqu'un
d'étonné, ce furent les gens qui entendirent ces paroles.
Ils ne pouvaient deviner d'où elles partaient. L'aumônier
du vaisseau récita les prières des exorcismes , les
matelots jurèrent, et les philosophes du vaisseau firent un
système ; mais quelque système qu'ils fissent, ils
ne purent jamais deviner qui leur parlait. Le nain de Saturne, qui
avait la voix plus douce que Micromégas, leur apprit alors en
peu de mots à quelles espèces ils avaient affaire. Il
leur conta le voyage de Saturne, les mit au fait de ce qu'était
monsieur Micromégas; et, après les avoir plaints d'être
si petits, il leur demanda s'ils avaient toujours été dans
ce misérable état si voisin de l'anéantissement,
ce qu'ils faisaient dans un globe qui paraissait appartenir à des
baleines, s'ils étaient heureux, s'ils multipliaient, s'ils
avaient une âme, et cent autres questions de cette nature.
6.3
If anyone has ever been surprised, it was the people who heard these words. They could not figure out where they were coming from. The chaplain of the vessel recited the exorcism prayers, the sailors swore, and the philosophers of the vessel constructed systems; but no matter what systems they came up with, they could not figure out who was talking. The dwarf from Saturn, who had a softer voice than Micromegas, told them in a few words what species they were dealing with. He told them about the voyage from Saturn, brought them up to speed on what Mr. Micromegas was, and after lamenting how small they were, asked them if they had always been in this miserable state so near nothingness, what they were doing on a globe that appeared to belong to whales, whether they were happy, if they reproduced, if they had a soul, and a hundred other questions of this nature.
6.4
Un raisonneur de la troupe, plus
hardi que les autres, et choqué de ce qu'on doutait de son âme,
observa l'interlocuteur avec des pinnules braquées sur un
quart de cercle, fit deux stations , et à la troisième
il parla ainsi: « Vous croyez donc, monsieur, parce que vous
avez mille toises depuis la tête jusqu'aux pieds, que vous êtes
un... — Mille toises! s'écria le nain; juste Ciel! d'où peut-il
savoir ma hauteur? mille toises! Il ne se trompe pas d'un pouce .
Quoi! cet atome m'a mesuré! il est géomètre,
il connaît ma grandeur; et moi, qui ne le vois qu'à travers
un microscope, je ne connais pas encore la sienne! — Oui, je
vous ai mesuré, dit le physicien, et je mesurerai bien encore
votre grand compagnon. » La proposition fut acceptée;
Son Excellence se coucha de son long: car, s'il se fût tenu
debout, sa tête eût été trop au-dessus
des nuages. Nos philosophes lui plantèrent un grand arbre
dans un endroit que le docteur Swift nommerait, mais que je me garderai
bien d'appeler par son nom, à cause de mon grand respect pour
les dames. Puis, par une suite de triangles liés ensemble,
ils conclurent que ce qu'ils voyaient était en effet un jeune
homme de cent vingt mille pieds de roi.
6.4
A reasoner among the troop, more daring than the others, and shocked that someone might doubt his soul, observed the interlocutor with sight-vanes pointed at a quarter circle from two different stations, and at the third spoke thusly: "You believe then, Sir, that because you are a thousand fathoms tall from head to toe, that you are a—"
"A thousand fathoms!" cried the dwarf. "Good heavens! How could he know my height? A thousand fathoms! You cannot mistake him for a flea. This atom just measured me! He is a surveyor, he knows my size; and I, who can only see him through a microscope, I still do not know his!"
"Yes, I measured you," said the physician, "and I will measure your large companion as well." The proposition was accepted, his excellency laid down flat; for were he to stay upright his head would have been among the clouds. Our philosophers planted a great shaft on him, in a place that doctor Swift would have named, but that I will restrain myself from calling by its name, out of respect for the ladies. Next, by a series of triangles linked together, they concluded that what they saw was in effect a young man of 120,000 feet.
6.5
Alors Micromégas prononça
ces paroles: « Je vois plus que jamais qu'il ne faut juger
de rien sur sa grandeur apparente. O Dieu! qui avez donné une
intelligence à des substances qui paraissent si méprisables,
l'infiniment petit vous coûte aussi peu que l'infiniment grand;
et, s'il est possible qu'il y ait des êtres plus petits que
ceux-ci, ils peuvent encore avoir un esprit supérieur à ceux
de ces superbes animaux que j'ai vus dans le ciel, dont le pied seul
couvrirait le globe où je suis descendu.»
6.5
So Micromegas delivered these words: "I see more than ever that one must not judge anything by its apparent size. Oh God! you who have given intelligence to substance that appears contemptible. The infinitely small costs you as little as the infinitely large; and if it is possible that there are such small beings as these, there may just as well be a spirit bigger than those of the superb animals that I have seen in the heavens, whose feet alone would cover this planet."
6.6
Un des philosophes lui répondit
qu'il pouvait en toute sûreté croire qu'il est en effet
des êtres intelligents beaucoup plus petits que l'homme. Il
lui conta, non pas tout ce que Virgile a dit de fabuleux sur les
abeilles, mais ce que Swammerdam a découvert, et ce que Réaumur
a disséqué . Il lui apprit enfin qu'il y a des animaux
qui sont pour les abeilles ce que les abeilles sont pour l'homme,
ce que le Sirien lui-même était pour ces animaux si
vastes dont il parlait, et ce que ces grands animaux sont pour d'autres
substances devant lesquelles ils ne paraissent que comme des atomes.
Peu à peu la conversation devint intéressante, et Micromégas
parla ainsi.
6.6
One of the philosophers responded that he could certainly imagine that there are intelligent beings much smaller than man. He recounted, not every fabulous thing Virgil says about bees, but what Swammerdam discovered, and what Réaumur has anatomized. He explained finally that there are animals that are to bees what bees are to man, what the Sirian himself was for the vast animals he had spoken of, and what these large animals are to other substances before which they looked like atoms. Little by little the conversation became interesting, and Micromegas spoke thusly: