http://www.gutenberg.org/files/30123/30123-h/30123-h.htm, Translator: Peter Phalen
CHAPTER I: Voyage of an inhabitant of the Sirius star to the planet Saturn
CHAPTER II: Conversation between the inhabitant of Sirius and that of Saturn
CHAPTER III: Voyage of the two inhabitants of Sirius and Saturn
CHAPTER V: Experiments and reasonings of the two voyagers
6.1 | 6.2 | 6.3 | 6.4 | 6.5 |
6.6
7.1 | 7.2 | 7.3 | 7.4 | 7.5 | 7.6 | 7.7 | 7.8 |
7.9
Voltaire, Micromégas
Chapitre premier
Voyage d'un habitant du monde de l'étoile Sirius dans la planète
de Saturne
1.1
Dans une de ces planètes qui tournent autour de l'étoile
nommée Sirius, il y avait un jeune homme de beaucoup d'esprit,
que j'ai eu l'honneur de connaître dans le dernier voyage qu'il
fit sur notre petite fourmilière; il s'appelait Micromégas,
nom qui convient fort à tous les grands. Il avait huit lieues
de haut: j'entends, par huit lieues, vingt-quatre mille pas géométriques
de cinq pieds chacun.
Voltaire, Micromégas
CHAPTER I
Voyage of an inhabitant of the Sirius star to the planet Saturn
1.1
On one of the planets that orbits the star named Sirius there lived a spirited young man, who I had the honor of meeting on the last voyage he made to our little ant hill. He was called Micromegas, a fitting name for anyone so great. He was eight leagues tall, or 24,000 geometric paces of five feet each.
1.2
Quelques algébristes,
gens toujours utiles au public, prendront sur-le- champ la plume,
et trouveront que, puisque monsieur Micromégas, habitant du
pays de Sirius, a de la tête aux pieds vingt-quatre mille pas,
qui font cent vingt mille pieds de roi, et que nous autres, citoyens
de la terre, nous n'avons guère que cinq pieds, et que notre
globe a neuf mille lieues de tour, ils trouveront, dis-je, qu'il
faut absolument que le globe qui l'a produit ait au juste vingt-un
millions six cent mille fois plus de circonférence que notre
petite terre. Rien n'est plus simple et plus ordinaire dans la nature.
Les Etats de quelques souverains d'Allemagne ou d'ltalie, dont on
peut faire le tour en une demi heure, comparés à l'empire
de Turquie, de Moscovie ou de la Chine, ne sont qu'une très
faible image des prodigieuses différences que la nature a
mises dans tous les êtres.
1.2
Certain geometers, always of use to the public, will immediately take up their pens, and will find that since Mr. Micromegas, inhabitant of the country of Sirius, is 24,000 paces tall, which is equivalent to 20,000 feet, and since we citizens of the earth are hardly five feet tall, and our sphere 9,000 leagues around; they will find, I say, that it is absolutely necessary that the sphere that produced him was 21,600,000 times greater in circumference than our little Earth. Nothing in nature is simpler or more orderly. The sovereign states of Germany or Italy, which one can traverse in a half hour, compared to the empires of Turkey, Moscow, or China, are only feeble reflections of the prodigious differences that nature has placed in all beings.
1.3
La taille de Son Excellence étant
de la hauteur que j'ai dite, tous nos sculpteurs et tous nos peintres
conviendront sans peine que sa ceinture peut avoir cinquante mille
pieds de roi de tour: ce qui fait une très jolie proportion.
1.3
His excellency's size being as great as I have said, all our sculptors and all our painters will agree without protest that his belt would have been 50,000 feet around, which gives him very good proportions.
1.4
Quant à son esprit, c'est
un des plus cultivés que nous avons; il sait beaucoup de choses;
il en a inventé quelques-unes; il n'avait pas encore deux
cent cinquante ans, et il étudiait, selon la coutume, au collège
des jésuites de sa planète, lorsqu'il devina, par la
force de son esprit, plus de cinquante propositions d'Euclide. C'est
dix-huit de plus que Blaise Pascal, lequel, après en avoir
deviné trente-deux en se jouant, à ce que dit sa soeur,
devint depuis un géomètre assez médiocre, et
un fort mauvais métaphysicien. Vers les quatre cent cinquante
ans, au sortir de l'enfance, il disséqua beaucoup de ces petits
insectes qui n'ont pas cent pieds de diamètre, et qui se dérobent
aux microscopes ordinaires; il en composa un livre fort curieux,
mais qui lui fit quelques affaires. Le muphti de son pays, grand
vétillard, et fort ignorant, trouva dans son livre des propositions
suspectes, malsonnantes, téméraires, hérétiques,
sentant l'hérésie, et le poursuivit vivement: il s'agissait
de savoir si la forme substantielle des puces de Sirius était
de même nature que celle des colimaçons. Micromégas
se défendit avec esprit; il mit les femmes de son côté;
le procès dura deux cent vingt ans. Enfin le muphti fit condamner
le livre par des jurisconsultes qui ne l'avaient pas lu, et l'auteur
eut ordre de ne paraître à la cour de huit cents années.
1.4.
As for his mind, it is one of the most cultivated that we have. He knows many things. He invented some of them. He was not even 250 years old when he studied, as is customary, at the most celebrated colleges of his planet, where he managed to figure out by pure willpower more than 50 of Euclid's propositions. That makes 18 more than Blaise Pascal, who, after having figured out 32 while screwing around, according to his sister's reports, later became a fairly mediocre geometer and a very bad metaphysician. Towards his 450th year, near the end of his infancy, he dissected many small insects no more than 100 feet in diameter, which would evade ordinary microscopes. He wrote a very curious book about this, and it gave him some income. The mufti of his country, an extremely ignorant worrywart, found some suspicious, rash, disagreeable, and heretical propositions in the book, smelled heresy, and pursued it vigorously; it was a matter of finding out whether the substantial form of the fleas of Sirius were of the same nature as those of the snails. Micromegas gave a spirited defense; he brought in some women to testify in his favor; the trial lasted 220 years. Finally the mufti had the book condemned by jurisconsults who had not read it, and the author was ordered not to appear in court for 800 years.
1.5
Il ne fut que médiocrement
affligé d'être banni d'une cour qui n'était remplie
que de tracasseries et de petitesses. Il fit une chanson fort plaisante
contre le muphti, dont celui-ci ne s'embarrassa guère; et
il se mit à voyager de planète en planète, pour
achever de se former l'esprit et le coeur, comme l'on dit. Ceux qui
ne voyagent qu'en chaise de poste ou en berline seront sans doute étonnés
des équipages de là-haut: car nous autres, sur notre
petit tas de boue, nous ne concevons rien au-delà de nos usages.
Notre voyageur connaissait merveilleusement les lois de la gravitation
et toutes les forces attractives et répulsives. Il s'en servait
si à propos que, tantôt à l'aide d'un rayon du
soleil, tantôt par la commodité d'une comète,
il allait de globe en globe, lui et les siens, comme un oiseau voltige
de branche en branche. Il parcourut la voie lactée en peu
de temps, et je suis obligé d'avouer qu'il ne vit jamais à travers
les étoiles dont elle est semée ce beau ciel empyrée
que l'illustre vicaire Derham se vante d'avoir vu au bout de sa lunette.
Ce n'est pas que je prétende que Monsieur Derham ait mal vu, à Dieu
ne plaise! mais Micromégas était sur les lieux, c'est
un bon observateur et je ne veux contredire personne. Micromégas,
après avoir bien tourné, arriva dans le globe de Saturne.
Quelque accoutumé qu'il fût à voir des choses
nouvelles, il ne put d'abord, en voyant la petitesse du globe et
de ses habitants, se défendre de ce sourire de supériorité qui échappe
quelquefois aux plus sages. Car enfin
Saturne n'est guère que neuf cents fois plus gros que la terre,
et les citoyens de ce pays-là sont des nains qui n'ont que
mille toises de haut ou environ. Il s'en moqua un peu d'abord avec
ses gens, à peu près comme un musicien italien se met à rire
de la musique de Lulli quand il vient en France. Mais comme le Sirien
avait un bon esprit, il comprit bien vite qu'un être pensant
peut fort bien n'être pas ridicule pour n'avoir que six mille
pieds de haut. Il se familiarisa avec les Saturniens, après
les avoir étonnés. Il lia une étroite amitié avec
le secrétaire de l'Académie de Saturne, homme de beaucoup
d'esprit, qui n'avait à la vérité rien inventé,
mais qui rendait un fort bon compte des inventions des autres, et
qui faisait passablement de petits vers et de grands calculs. Je
rapporterai ici, pour la satisfaction des lecteurs, une conversation
singulière que Micromégas eut un jour avec M. le secrétaire.
1.5
He was thereby dealt the minor affliction of being banished from a court that consisted of nothing but harassment and pettiness. He wrote an amusing song at the expense of the mufti, which the latter hardly noticed; and he took to voyaging from planet to planet in order to develop his heart and mind, as the saying goes. Those that travel only by stage coach or sedan will probably be surprised learn of the carriage of this vessel; for we, on our little pile of mud, can only conceive of that to which we are accustomed. Our voyager was very familiar with the laws of gravity and with all the other attractive and repulsive forces. He utilized them so well that, whether with the help of a ray of sunlight or some comet, he jumped from globe to globe like a bird vaulting itself from branch to branch. He quickly spanned the Milky Way, and I am obliged to report that he never saw, throughout the stars it is made up of, the beautiful empyrean sky that the vicar Derham boasts of having seen at the other end of his telescope. I do not claim that Mr. Derham has poor eyesight, God forbid! But Micromegas was on site, which makes him a reliable witness, and I do not want to contradict anyone. Micromegas, after having toured around, arrived at the planet Saturn. As accustomed as he was to seeing new things, he could not, upon seeing the smallness of the planet and its inhabitants, stop himself from smiling with the superiority that occasionally escapes the wisest of us. For in the end Saturn is hardly nine times bigger than Earth, and the citizens of this country are dwarfs, no more than a thousand fathoms tall, or somewhere around there. He and his men poked fun at them at first, like Italian musicians laughing at the music of Lully when he comes to France. But, as the Sirian had a good heart, he understood very quickly that a thinking being is not necessarily ridiculous just because he is only 6,000 feet tall. He got to know the Saturnians after their shock wore off. He built a strong friendship with the secretary of the academy of Saturn, a spirited man who had not invented anything, to tell the truth, but who understood the inventions of others very well, and who wrote some passable verses and carried out some complicated calculations. I will report here, for the reader's satisfaction, a singular conversation that Micromegas had with the secretary one day.