Voltaire


Candide Chapitre XXV (Extrait)




Candide et Martin allèrent en gondole sur la Brenta, et arrivèrent au palais du noble Pococuranté. Les jardins étaient bien entendus, et ornés de belles statues de marbre ; le palais, d´une belle architecture. Le maître du logis, homme de soixante ans, fort riche, reçut très poliment les deux curieux, mais avec très peu d´empressement, ce qui déconcerta Candide et ne déplut point à Martin.
Candide and Martin went in a gondola on the Brenta, and arrived at the palace of the noble Signor Pococurante. The gardens, laid out with taste, were adorned with fine marble statues. The palace was beautifully built. The master of the house was a man of sixty, and very rich. He received the two travellers with polite indifference, which put Candide a little out of countenance, but was not at all disagreeable to Martin.

D´abord deux filles jolies et proprement mises servirent du chocolat, qu´elles firent très bien mousser. Candide ne put s´empêcher de les louer sur leur beauté, sur leur bonne grâce, et sur leur adresse. « Ce sont d´assez bonnes créatures, dit le sénateur Pococuranté ; je les fais quelquefois coucher dans mon lit ; car je suis bien las des dames de la ville, de leurs coquetteries, de leurs jalousies, de leurs querelles, de leurs humeurs, de leurs petitesses, de leur orgueil, de leurs sottises, et des sonnets qu´il faut faire ou commander pour elles ; mais, après tout, ces deux filles commencent fort à m´ennuyer. »

First, two pretty girls, very neatly dressed, served them with chocolate, which was frothed exceedingly well. Candide could not refrain from commending their beauty, grace, and address.

"They are good enough creatures," said the Senator. "I make them lie with me sometimes, for I am very tired of the ladies of the town, of their coquetries, of their jealousies, of their quarrels, of their humours, of their pettinesses, of their prides, of their follies, and of the sonnets which one must make, or have made, for them. But after all, these two girls begin to weary me."


Candide, après le déjeuner, se promenant dans une longue galerie, fut surpris de la beauté des tableaux. Il demanda de quel maître étaient les deux premiers. « Ils sont de Raphaël, dit le sénateur ; je les achetai fort cher par vanité, il y a quelques années ; on dit que c´est ce qu´il y a de plus beau en Italie, mais ils ne me plaisent point du tout : la couleur en est très rembrunie, les figures ne sont pas assez arrondies, et ne sortent point assez ; les draperies ne ressemblent en rien à une étoffe : en un mot, quoi qu´on en dise, je ne trouve point là une imitation vraie de la nature. Je n´aimerai un tableau que quand je croirai voir la nature elle-même : il n´y en a point de cette espèce. J´ai beaucoup de tableaux, mais je ne les regarde plus. » Pocoruranté, en attendant le dîner, se fit donner un concerto. Candide trouva la musique délicieuse.

After breakfast, Candide walking into a long gallery was surprised by the beautiful pictures. He asked, by what master were the two first.

"They are by Raphael," said the Senator. "I bought them at a great price, out of vanity, some years ago. They are said to be the finest things in Italy, but they do not please me at all. The colours are too dark, the figures are not sufficiently rounded, nor in good relief; the draperies in no way resemble stuffs. In a word, whatever may be said, I do not find there a true imitation of nature. I only care for a picture when I think I see nature itself; and there are none of this sort. I have a great many pictures, but I prize them very little."

While they were waiting for dinner Pococurante ordered a concert. Candide found the music delicious.


«Ce bruit, dit Pocoruranté, peut amuser une demi-heure ; mais s´il dure plus longtemps, il fatigue tout le monde, quoique personne n´ose l´avouer. La musique aujourd´hui n´est plus que l´art d´exécuter des choses difficiles, et ce qui n´est que difficile ne plaît point à la longue.
"This noise," said the Senator, "may amuse one for half an hour; but if it were to last longer it would grow tiresome to everybody, though they durst not own it. Music, to-day, is only the art of executing difficult things, and that which is only difficult cannot please long.

J´aimerais peut-être mieux l´opéra, si on n´avait pas trouvé le secret d´en faire un monstre qui me révolte. Ira voir qui voudra de mauvaises tragédies en musique, où les scènes ne sont faites que pour amener très mal à propos deux ou trois chansons ridicules qui font valoir le gosier d´une actrice ; se pâmera de plaisir qui voudra ou qui pourra en voyant un châtré fredonner le rôle de César et de Caton, et se promener d´un air gauche sur des planches ; pour moi, il y a longtemps que j´ai renoncé à ces pauvretés, qui font aujourd´hui la gloire de l´Italie, et que des souverains payent si chèrement.»
Perhaps I should be fonder of the opera if they had not found the secret of making of it a monster which shocks me. Let who will go to see bad tragedies set to music, where the scenes are contrived for no other end than to introduce two or three songs ridiculously out of place, to show off an actress's voice. Let who will, or who can, die away with pleasure at the sight of an eunuch quavering the rôle of Cæsar, or of Cato, and strutting awkwardly upon the stage. For my part I have long since renounced those paltry entertainments which constitute the glory of modern Italy, and are purchased so dearly by sovereigns."

Candide disputa un peu, mais avec discrétion. Martin fut entièrement de l´avis du sénateur. On se mit à table ; et, après un excellent dîner, on entra dans la bibliothèque. Candide, en voyant un Homère magnifiquement relié, loua l´illustrissime sur son bon goût.

Candide disputed the point a little, but with discretion. Martin was entirely of the Senator's opinion.

They sat down to table, and after an excellent dinner they went into the library. Candide, seeing a Homer magnificently bound, commended the virtuoso on his good taste.


«Voilà, dit-il, un livre qui faisait les délices du grand Pangloss, le meilleur philosophe de l´Allemagne. – Il ne fait pas les miennes, dit froidement Pococuranté ; on me fit accroire autrefois que j´avais du plaisir en le lisant ; mais cette répétition continuelle de combats qui se ressemblent tous, ces dieux qui agissent toujours pour ne rien faire de décisif, cette Hélène qui est le sujet de la guerre, et qui à peine est une actrice de la pièce ; cette Troie qu´on assiège, et qu´on ne prend point :

"There," said he, "is a book that was once the delight of the great Pangloss, the best philosopher in Germany."

"It is not mine," answered Pococurante coolly. "They used at one time to make me believe that I took a pleasure in reading him. But that continual repetition of battles, so extremely like one another; those gods that are always active without doing anything decisive; that Helen who is the cause of the war, and who yet scarcely appears in the piece; that Troy, so long besieged without being taken; all these together caused me great weariness.


tout cela me causait le plus mortel ennui. J´ai demandé quelquefois à des savants s´ils s´ennuyaient autant que moi à cette lecture : tous les gens sincères m´ont avoué que le livre leur tombait des mains, mais qu´il fallait toujours l´avoir dans sa bibliothèque, comme un monument de l´antiquité, et comme mes médailles rouillées qui ne peuvent être de commerce. »
I have sometimes asked learned men whether they were not as weary as I of that work. Those who were sincere have owned to me that the poem made them fall asleep; yet it was necessary to have it in their library as a monument of antiquity, or like those rusty medals which are no longer of use in commerce."






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