Denis Diderot:   Encyclopedia, Article "Political Authority" (extract)





Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle ; mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l’état de nature elle finirait que les enfants seraient en état de se conduire.
No man has received from nature the right to command others. Liberty is a gift from heaven, and each individual of the same species has the right to enjoy it as soon as he enjoys the use of reason. If nature has established any authority, it is paternal control; but paternal control has its limits, and in the state of nature it would terminate when the children could take care of themselves.

Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature. Qu’on examine bien et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et à qui ils ont déféré l’autorité.
Any other authority comes from another origin than nature. If one seriously considers this matter, one will always go back to one of these two sources: either the force and violence of an individual who has seized it, or the consent of those who have submitted to it by a contract made or assumed between them and the individual on whom they have bestowed authority.

La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé.
Power that is acquired by violence is only usurpation and only lasts as long as the force of the individual who commands can prevail over the force of those who obey; in such a way that if the latter become in their turn the strongest party and then shake off the yoke, they do it with as much right and justice as the other who had imposed it upon them.

La même loi qui a fait l’autorité la défait alors ; c’est la loi du plus fort. Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature ; c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis ; mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler ; et celui qui se l’était arrogée devenant alors prince cesse d’être tyran.
The same law that made authority can then destroy it; for this is the law of might. Sometimes authority that is established by violence changes its nature; this is when it continues and is maintained with the express consent of those who have been brought into subjection, but in this case it reverts to the second case about which I am going to speak; and the individual who had arrogated it then becomes a prince, ceasing to be a tyrant.

La puissance qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l’homme ne peut ni ne doit se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui il appartient tout entier. C’est Dieu dont le pouvoir est toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point.
Power that comes from the consent of the people [1] necessarily presupposes certain conditions that make its use legitimate, useful to society, advantageous to the republic, and set and restrict it between limits: for man must not nor cannot give himself entirely and without reserve to another man, because he has a master superior to everything, to whom he alone belongs in his entire being. It is God, whose power always has a direct bearing on each creature, a master as jealous as absolute, who never loses his rights and does not transfer them.

Il permet pour le bien commun et le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du créateur. Toute autre soumission est le véritable crime de l’idolâtrie.
He permits for the common good and for the maintenance of society that men establish among themselves an order of subordination, that they obey one of them, but he wishes that it be done with reason and proportion and not by blindness and without reservation, so that the creature does not arrogate the rights of the creator. Any other submission is the veritable crime of idolatry.

Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n’est qu’une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le cœur et l’esprit ne se soucie guère, et qu’il abandonne à l’institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d’un culte civil et politique, ou d’un culte de religion. Ainsi ce ne sont pas ces cérémonies en elles-mêmes, mais l’esprit de leur établissement qui en rend la pratique innocente ou criminelle.
To bend one's knee before a man or an image is merely an external ceremony about which the true God, who demands the heart and the mind, hardly cares and which he leaves to the institution of men to do with as they please the tokens of civil and political devotion or of religious worship. Thus it is not these ceremonies in themselves, but the spirit of their establishment that makes their observance innocent or criminal.

Un Anglais n’a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémonial ne signifie que ce qu’on a voulu qu’il signifiât, mais livrer son cœur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au caprice d’une pure créature, en faire l’unique et dernier motif de ses actions, c’est assurément un crime de lèse-majesté divine au premier chef :
An Englishman has no scruples about serving the king on one knee; the ceremonial only signifies what people wanted it to signify. But to deliver one's heart, spirit, and conduct without any reservation to the will and caprice of a mere creature, making him the unique and final reason for one's actions, is assuredly a crime of divine lese majesty of the highest degree.

autrement ce pouvoir de Dieu, dont on parle tant, ne serait qu’un vain bruit dont la politique humaine userait à sa fantaisie, et dont l’esprit d’irréligion pourrait se jouer à son tour ; de sorte que toutes les idées de puissance et de subordination venant à se confondre, le prince se jouerait de Dieu, et le sujet du prince.
Otherwise this power of God about which one speaks so much would only be empty noise that human politics would use out of pure fantasy and which the spirit of irreligion could play with in its turn; so that all ideas concerning power and subordination coming to the point of merging, the prince would trifle with God, and the subject with the prince.

Translator: Stephen J. Gendzier [Brandeis University]






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