Aucun
homme n’a reçu de la
nature le droit de commander aux
autres. La liberté est un
présent du Ciel, et chaque
individu de la même espèce
a le droit d’en jouir aussitôt
qu’il jouit de la raison. Si
la nature a établi quelque
autorité, c’est la puissance
paternelle ; mais la puissance paternelle
a ses bornes ; et dans l’état
de nature elle finirait que les enfants
seraient en état de se conduire.
No man has received from nature the right to command others. Liberty is a gift from heaven, and each individual of the same species has the right to enjoy it as soon as he enjoys the use of reason. If nature has established any authority, it is paternal control; but paternal control has its limits, and in the state of nature it would terminate when the children could take care of themselves.
Toute autre autorité vient
d’une autre origine que la
nature. Qu’on examine bien
et on la fera toujours remonter à l’une
de ces deux sources : ou la force
et la violence de celui qui s’en
est emparé, ou le consentement
de ceux qui s’y sont soumis
par un contrat fait ou supposé entre
eux et à qui ils ont déféré l’autorité.
Any other authority comes from another origin than nature. If one seriously considers this matter, one will always go back to one of these two sources: either the force and violence of an individual who has seized it, or the consent of those who have submitted to it by a contract made or assumed between them and the individual on whom they have bestowed authority.
La puissance qui s’acquiert
par la violence n’est qu’une
usurpation et ne dure qu’autant
que la force de celui qui commande
l’emporte sur celle de ceux
qui obéissent ; en sorte que
si ces derniers deviennent à leur
tour les plus forts, et qu’ils
secouent le joug, ils le font avec
autant de droit et de justice que
l’autre qui le leur avait imposé.
Power that is acquired by violence is only usurpation and only lasts as long as the force of the individual who commands can prevail over the force of those who obey; in such a way that if the latter become in their turn the strongest party and then shake off the yoke, they do it with as much right and justice as the other who had imposed it upon them.
La même loi qui a fait l’autorité la
défait alors ; c’est
la loi du plus fort. Quelquefois
l’autorité qui s’établit
par la violence change de nature
; c’est lorsqu’elle continue
et se maintient du consentement exprès
de ceux qu’on a soumis ; mais
elle rentre par là dans la
seconde espèce dont je vais
parler ; et celui qui se l’était
arrogée devenant alors prince
cesse d’être tyran.
The same law that made authority can then destroy it; for this is the law of might. Sometimes authority that is established by violence changes its nature; this is when it continues and is maintained with the express consent of those who have been brought into subjection, but in this case it reverts to the second case about which I am going to speak; and the individual who had arrogated it then becomes a prince, ceasing to be a tyrant.
La
puissance qui vient du consentement
des peuples suppose nécessairement
des conditions qui en rendent l’usage
légitime utile à la
société, avantageux à la
république, et qui la fixent
et la restreignent entre des limites
; car l’homme ne peut ni ne
doit se donner entièrement
et sans réserve à un
autre homme, parce qu’il a
un maître supérieur
au-dessus de tout, à qui il
appartient tout entier. C’est
Dieu dont le pouvoir est toujours
immédiat sur la créature,
maître aussi jaloux qu’absolu,
qui ne perd jamais de ses droits
et ne les communique point.
Power that comes from the consent of the people [1] necessarily presupposes certain conditions that make its use legitimate, useful to society, advantageous to the republic, and set and restrict it between limits: for man must not nor cannot give himself entirely and without reserve to another man, because he has a master superior to everything, to whom he alone belongs in his entire being. It is God, whose power always has a direct bearing on each creature, a master as jealous as absolute, who never loses his rights and does not transfer them.
Il permet
pour le bien commun et le maintien
de la société que les
hommes établissent entre eux
un ordre de subordination, qu’ils
obéissent à l’un
d’eux ; mais il veut que ce
soit par raison et avec mesure, et
non pas aveuglément et sans
réserve, afin que la créature
ne s’arroge pas les droits
du créateur. Toute autre soumission
est le véritable crime de
l’idolâtrie.
He permits for the common good and for the maintenance of society that men establish among themselves an order of subordination, that they obey one of them, but he wishes that it be done with reason and proportion and not by blindness and without reservation, so that the creature does not arrogate the rights of the creator. Any other submission is the veritable crime of idolatry.
Fléchir
le genou devant un homme ou devant
une image n’est qu’une
cérémonie extérieure,
dont le vrai Dieu qui demande le
cœur et l’esprit ne se
soucie guère, et qu’il
abandonne à l’institution
des hommes pour en faire, comme il
leur conviendra, des marques d’un
culte civil et politique, ou d’un
culte de religion. Ainsi ce ne sont
pas ces cérémonies
en elles-mêmes, mais l’esprit
de leur établissement qui
en rend la pratique innocente ou
criminelle.
To bend one's knee before a man or an image is merely an external ceremony about which the true God, who demands the heart and the mind, hardly cares and which he leaves to the institution of men to do with as they please the tokens of civil and political devotion or of religious worship. Thus it is not these ceremonies in themselves, but the spirit of their establishment that makes their observance innocent or criminal.
Un Anglais n’a
point de scrupule à servir
le roi le genou en terre ; le cérémonial
ne signifie que ce qu’on a
voulu qu’il signifiât,
mais livrer son cœur, son esprit
et sa conduite sans aucune réserve à la
volonté et au caprice d’une
pure créature, en faire l’unique
et dernier motif de ses actions,
c’est assurément un
crime de lèse-majesté divine
au premier chef :
An Englishman has no scruples about serving the king on one knee; the ceremonial only signifies what people wanted it to signify. But to deliver one's heart, spirit, and conduct without any reservation to the will and caprice of a mere creature, making him the unique and final reason for one's actions, is assuredly a crime of divine lese majesty of the highest degree.
autrement ce pouvoir
de Dieu, dont on parle tant, ne serait
qu’un vain bruit dont la politique
humaine userait à sa fantaisie,
et dont l’esprit d’irréligion
pourrait se jouer à son tour
; de sorte que toutes les idées
de puissance et de subordination
venant à se confondre, le
prince se jouerait de Dieu, et le
sujet du prince.
Otherwise this power of God about which one speaks so much would only be empty noise that human politics would use out of pure fantasy and which the spirit of irreligion could play with in its turn; so that all ideas concerning power and subordination coming to the point of merging, the prince would trifle with God, and the subject with the prince.
Translator: Stephen J. Gendzier [Brandeis University]